Irisa Nova : la première « IA » exposée

31/8/2023
|
Grégory
En mars dernier, une jeune artiste défrayait la chronique dans le secteur de l’art. Son nom : Irisa Nova. Sa particularité : ne pas exister. Pas au sens humain en tout cas, au regard de cette toute première exposition à Amsterdam consacrée aux oeuvres produites par une Intelligence Artificielle.

Si le 17ème siècle est considéré comme « le siècle d’or » des Pays-Bas, ce pays - au tiers sous le niveau de la mer - le doit en bonne partie à l’Art et l’érudition. En effet, au moment  où la France allait s’éveiller aux Lumières avant de les « diffuser » disons… Celles-ci étaient braquées, associées aux travaux de peintres néerlandais contemporains comme Rembrandt ou Vermeer. Soit l’une des plus illustres figures du clair-obscur pour le premier, et le père de « La Jeune Fille à la perle » ou de « La Laitière » pour le second. Et oui ! Celle-là même sur les petits pots en verre estampillés « à l’arôme naturel » de vanille. Soit dit plus naturellement… sans vanille dedans. #CQFD

 

Reproduire l’intelligence : ok… Reproduire le « génie ou ressenti » : soucis ?
 

Ainsi, si Veermer trouverait peut-être particulier de voir sa Laitière égérie de publicités pour yaourts aromatisés… Il semble que le public à l’instant soit plus gêné - ou réticent  - à l’idée de laisser « sa jeune fille à la perle » perdre de sa naturalité. Cela face à une « réinterprétation digitale » de ce tableau de presque 4 siècles, également appelée « La Joconde du Nord ».

Un chef-d’oeuvre dont la puissance originelle passe par la palette des couleurs et nuances utilisée, un travail parfait d’ombres et lumières, autour d’un regard à l’éclat de porcelaine souligné par des lèvres légèrement rebâillées. Un ensemble pensé au service d’un portrait et visage faits d’une (im)parfaite beauté. Celle de l’une des filles du peintre selon certains, d’une servante selon d’autres… Quand d’aucuns parient sur une jeune femme imaginaire coiffée à l’orientale. Un mouvement, style colonial à la mode à ce moment.  

 

Art et « IA », nouvel oxymore du « temps passé » ?
 

Quelque soit la vraie version, il semble dans tous les cas clair que Constant Brinkman ne partage pas le même sentiment qu’une partie du grand public ou de son secteur.

 

Propriétaire de la « La Dead End AI Gallery » à Amsterdam, l’homme offrait ainsi en mars dernier la toute première exposition à « l’artiste IA » Irisa Nova, accompagnée par la désormais jeune fille aux 2 boucles lumineuses orangées… « Nous sommes la 1ère galerie au monde à exposer physiquement de l'art généré par l'Intelligence Artificielle », se félicite Constant. Comme il le partage à nos amis de France Tv, selon lui « le génie de l’intelligence artificielle est enfin sorti de la bouteille, et cela ne va plus s’arrêter ! »

 

Présentée dans le même document, l’experte en Art Patricia Jansma confesse quant à elle devant le tableau ci-après dans un sourire léger, « j’aime le regarder… Il est « décoratif ». Quelqu’un sera certainement prêt payer un peu d’argent pour cela ! Je suppose. »

Irisa Nova ici à droite devant l’une de ses oeuvres

En effet, chaque peinture numérique ou installation interactive proposée au public l’étant également à la vente, pour des prix compris entre 3 et 10 000 €. L’experte renchérit sur elle-même ensuite - un fait rare chez les marchands d’arts ! - pour conclure par « mais j’ai des exigences différentes pour l’Art… » La jeune femme faisant donc partie de celles, ceux au premier contact distant face aux travaux algorithmiques produits en 1 instant, sans humanité certes, mais au croisement de milliards de données. Là ou de tout temps l’art, ses oeuvres et leurs valorisations passent par la lenteur, le travail et labeur, l’idée, la créativité, la personnalité ou le génie de quelques humains dotés de qualités techniques, humaines rares.

 

Destruction créatrice & création destructrice…

 

Ainsi pour une/cette première exposition, les positions de Constant et Patricia semblent logiques face à l’appétence ou non - généralement marquées - lorsqu’il s’agit d’IA. Comme nous vous le partagions déjà dans notre article autour d'Asimov et ses lois de la robotique, l’Intelligence Artificielle est et restera certainement parmi les sujets qui ne marqueront jamais une quelconque unanimité. Soit finalement par transposition, le même destin que nombre de démarches nouvelles au travers des siècles d’Histoire de l’Art...

 

Allez donc demander aux néo-impressionnistes comment l’art académique et les critiques parisiens installés parlaient de leurs travaux et nouvelles propositions… Elles en rupture totale avec les codes, techniques ou systèmes de références et pensées de leurs ainés. Alors, pour un nombre infini de raisons, ce premier pas de l’IA à Amsterdam est donc à noter et réfléchir. Artistiquement bien sûr et déjà ! Mais également face au futur de l’Art que nous souhaitons pour nos sociétés. Cela quand dans un même temps déjà, de l’autre côté de l’océan, différents auteurs, scénaristes puis acteurs font le piquet ensemble chaque jour devant les studios d’Hollywood. Le sacro-saint mondial de l'entertainment et de l’art business connaissant en effet sa grève la plus importante depuis 1960.

 

Au centre des craintes et revendications, une précarité importante dans leurs activités, renforcée par l’arrivée d’outils « d’aide à l’écriture » comme ChatGPT. Trois lettres qui ensemble faisaient souvent rire « bêtement » petit… devenues peur et enjeu réel pour les secteurs créatifs aujourd’hui. Pourtant, comme le disait le poète américain Robert Frost, si la « poésie est ce qui se perd dans la traduction », (comme ici !) alors que deviendra-t-elle dans l’écriture ou des arts faits de reproduction ? Et non plus de génie, de ressenti, de failles ou imperfections inhérents à l’humain… Vous avez 4 heures pour rendre les copies ! Et quelques années... pour en décider. Quant à ceux qui n’auraient pas d’idée, de temps ou de motivation pour penser, vous pourrez toujours aller demander votre avis à ChatGPT ! Irony or not irony… that is - now - the question.

< Retour aux articles